Aoû 12 2011

Photographier en infrarouge avec un boîtier défiltré

IR1.jpg
La photographie infrarouge, déjà pratiquée en argentique, a profité du numérique pour étendre les possibilités d'interprétation du photographe et faciliter son accès au plus grand nombre. En revanche, les spécificités des capteurs numériques demandent une adaptation particulière du matériel si l'on veut photographier efficacement.

Il y a quelques mois, je vous proposais un démontage du Sony NEX 3 afin de l'adapter à la photo infrarouge. Nous allons aujourd'hui aborder l'utilisation pratique de ce matériel, après un nécessaire détour par un peu de théorie afin de comprendre ce qu'est l'infrarouge, quelles sont ses spécificités et l'intérêt qu'il peut avoir en photo. Nous verrons aussi pourquoi il est parfois possible d'utiliser un boîtier non défiltré, mais que par souci d'efficacité il est plus efficace d'employer un matériel adapté.
Commençons donc par un peu de théorie.


La lumière

La lumière est considérée comme un ensemble d'ondes électromagnétiques. Une des caractéristiques d'une onde est sa longueur. Il s'agit de la distance, en mètres, entre deux creux ou deux crêtes qui se suivent :

longueur_onde.jpg

Le spectre électromagnétique est constitué de l'ensemble de ces ondes. Il va des rayonnements Gamma d'une longueur d'onde très courte (de l'ordre de quelques picomètres), jusqu'aux ondes radio, d'une longueur d'onde plus importante (plus de 10cm).

La lumière s'étend de l'ultraviolet à l'infrarouge, soit des longueurs d'onde allant de 10 nanomètres (10.10-9m) à 1 mm (1.10-3m). Notre oeil n'est en fait sensible qu'aux longueurs d'onde allant d'environ 400 à un peu plus de 700 nm, ce que l'on appelle logiquement "domaine visible".

domaine_visible.jpg

On se rend compte que l'étendue du spectre visible est en réalité très réduite, l'infrarouge à lui seul étant bien plus étendu. Le domaine infrarouge est divisé en plusieurs sous-domaines, dont deux particulièrement intéressants :
  • Les infrarouges proches s'étendent entre environ 720 nm et quelques µm. C'est le domaine qui nous intéresse pour la photo.
  • Les infrarouges lointains, au-delà de 30 µm, ont la particularité d'être proportionnels à la chaleur émise par un corps ou un objet. Cette propriété est utilisée pour les appareils de vision nocturne ou les caméras thermiques.


Capteur numérique

Les capteurs numériques qui équipent nos appareils photo sont sensibles non seulement au spectre visible, mais aussi aux infrarouges proches. En réalité, un photosite réagit uniquement à la quantité de lumière qu'il reçoit, infrarouge inclus. Un filtre à matrice de Bayer est placé devant le capteur, afin de différencier les couleurs (rouge, vert et bleu). Il faut bien imaginer son fonctionnement : les filtres bleus laissent passer tout ce qui est "en dessous" du vert, les filtres verts ce qui est entre le bleu et le rouge, et les filtres rouges laissent passer tout ce qui est "au-dessus" du vert.
Le capteur étant très peu sensible aux ultraviolets, ceux-ci ne posent pas de problème. En revanche, sa forte sensibilité aux IR fait que la couche rouge en sera saturée : les IR sont interprétés par le capteur comme étant "au-dessus du vert", donc rouges. Le capteur restituera alors une image totalement saturée en rouge. Pour éviter cela, un filtre IR est placé devant le capteur, filtre dont l'article précédent faisait l'objet.

Les infrarouges peuvent tout de même avoir un intérêt photographique. Le ciel ne donnant que peu d'IR apparaît donc très sombre si l'on photographie seulement dans l'infrarouge, alors que feuilles et plantes apparaissent blanches, la photosynthèse étant accompagnée d'une forte réflexion d'infrarouges.
Une photo infrarouge "pure" est donc une photo en nuances de rouge, que l'on peut décaler dans d'autres teintes monochromes par choix esthétique (noir et blanc si l'on refait une balance des blancs, ou sépia, par exemple). Voici l'interprétation par le boîtier d'un original infrarouge :

IRorig.jpg


Voici quelques photos interprétées en noir et blanc :

mono1.jpg

mono2.jpg

mono3.jpg

mono4.jpg


Les photos infrarouges avec des couleurs psychédéliques sont en fait des photos effectuées avec un filtrage IR partiel, laissant passer un peu de vert et de bleu. La couche rouge devenant fortement prédominante, la balance des blancs devient alors compliquée, et l'on retrouve des couleurs peu naturelles, mais avec un résultat d'ensemble parfois esthétique. Parfois seulement, car le dosage doit être subtil et relève un peu de la chance...

color1.jpg

color2.jpg



Mise au point

La photo infrarouge doit aussi composer avec une autre difficulté. Dans le spectre visible, les différentes couleurs ne sont pas focalisées sur un même plan avec une lentille simple. C'est relativement infime, mais suffisant pour provoquer des franges colorées gaiement appelées "aberrations chromatiques", caractérisées par des liserés rougeâtres ou bleus/violets.
Les infrarouges ont eux un point de netteté très décalé. Comme on ne les voit pas, il devient compliqué de faire la mise au point via un viseur optique classique. C'est pour cette raison que certains anciens objectifs sont dotés d'un repère rouge sur la bague de distance, indiquant le décalage nécessaire en infrarouge. Le Live View devient alors un atout majeur pour la mise au point, dans la mesure où l'on voit lors de la visée où s'effectue le point exact (on fait la mise au point en vérifiant directement la netteté de l'image sur le capteur).

coupe_objo.jpg

On comprend alors que mélanger fortement spectre visible et infrarouge provoquera de gros soucis de netteté, comme on peut le voir sur la photo suivante (rappelant étrangement les effets d'un apéro un peu trop appuyé) prise avec un appareil totalement défiltré. On arrivera rapidement à la conclusion qu'utiliser un tel appareil demandera un montage systématique de filtre, que ce soit pour photographier dans l'IR ou le spectre visible :

flou.jpg



Matériel nécessaire

Idéalement, il faut disposer d'un APN démuni de son filtre infrarouge. En effet, si d'un côté le filtre de l'appareil bloque les infrarouges, et de l'autre un filtre sur l'objectif ne laisse passer que ceux-ci, il ne reste au final que peu de photons pour alimenter le capteur. On se retrouve alors avec des temps de pose très longs avec un appareil non modifié (de l'ordre de la minute en plein soleil). Et si le filtre bloquant les infrarouges est "trop" efficace, réussir un bel effet devient illusoire...

On utilisera donc sur l'objectif un filtre infrarouge passant. Il bloquera le spectre visible, en ne laissant passer que les infrarouges (d'où les problèmes de mise au point avec une visée optique classique : le viseur devient noir). Ces filtres sont classés par la longueur d'onde à partir de laquelle le filtre devient passant. Un Hoya R72 par exemple laisse passer les longueurs d'onde supérieures à 720 nm.
Dans le cas d'un appareil défiltré, on pourra aussi utiliser des filtres ND. En effet, ceux-ci diminuent la luminosité en bloquant une partie de la lumière, mais se révèlent être de véritables passoires à infrarouge (du moins pour ceux que j'ai testés). On pourra ainsi déterminer la proportion de lumière visible/infrarouge selon la densité du filtre. Pour cet usage on peut aussi utiliser des filtres ND à densité variable, permettant de doser en continu cette proportion.

Voici quelques exemples avec un NEX 3 défiltré muni d'un filtre ND variable, avec des valeurs allant de ND 2 à ND 4000 :

ND2
ND2.jpg

ND1000
ND1000.jpg

ND2000
ND2000.jpg

ND4000, donnant un quasi filtre IR
ND4000.jpg

Si vous défiltrez votre appareil, vous pourrez toujours effectuer des photos classiques, mais il faudra pour cela utiliser sur votre objectif un filtre qui coupe les IR en remplacement de celui monté d'origine devant le capteur. Marumi par exemple propose des filtres "IR/UV cut", spécialement étudiés pour les appareils défiltrés. La balance des blancs manuelle sera toutefois obligatoire, ces filtres laissant tout de même passer suffisamment d'IR pour perturber la BDB de l'appareil.



Prises de vue nocturnes

Un appareil défiltré peut aussi être utilisé pour des prises de vue nocturnes discrètes, en photo animalière par exemple. Il suffira d'éclairer la scène avec une source infrarouge, l'oeil verra une scène noire, mais le capteur enregistrera bien les infrarouges.
On peut réaliser soi-même une torche infrarouge, en plaçant un filtre infrarouge devant une source lumineuse quelconque. Le plus intéressant reste tout de même de transformer une torche à LED, en remplaçant les LED classiques par des LED infrarouges, ce qui permettra d'avoir une source totalement invisible pour une consommation minime.

diode1.jpg

Il faudra juste respecter la polarité des diodes, en les replaçant de la même manière que les originales en suivant les repères suivants :

diode2.jpg

Que ce soit pour les diodes ou torches IR, les filtres IR ou ND variables, un site d'enchères en ligne bien connu vous permettra de trouver tout ce dont vous avez besoin...
A vous de jouer à présent !

Commentaires   

# johanjohan 12-08-2011 13:29
Super article, je suis fan! :D
# ExcellentFrédy Willette 15-08-2011 15:30
Excellent article attendu depuis le tuto sur le défiltrage, mais j'ai encore pas mal de chemin à faire en photo classique avant de me laisser tenter par l'aventure I.R.
# Véro 18-08-2011 12:42
Bonjour,
Très bon article agrémenté de belles photos IR. L'approche de cette technique reste cependant assez " lourde " (démontage du filtre IR du capteur, puis utilisation de filtres sur l'objectif...)
Aucun traitement " logiciel " n'arrive à approcher ce résultat ?
# Julien 18-08-2011 13:05
Bonjour,
il existe effectivement des "filtres" numériques se rapprochant d'un effet infrarouge. Ils ne peuvent toutefois pas simuler parfaitement le rendu, comme l'explique Omer la végétation, le ciel, les nuages ou l'eau ont une réflexion d'IR différents de celle dans le spectre visible.
Il existe nombre de "presets" pour Lightroom, Photoshop ou Gimp facilement trouvables sur le web qui peuvent approcher cet effet :D
# Philippe PIRET 18-08-2011 22:39
Pour la photo IR, c'était quand même plus simple en argentique et au moins aussi efficace, à mon humble avis !
# Mero 18-08-2011 23:51
Je ne suis pas à 100% d'accord...
Il fallait utiliser des pellicules qu'on ne trouvait pas partout, avec un développement spécifique, une mise au point quasi à l'aveugle.

Ce qui est compliqué, c'est la mise en œuvre (défiltrage du capteur). Et on garde l'avantage du numérique.
# Philippe PIRET 19-08-2011 01:15
Mero, je vous invite à jeter un oeil sur mon site. J'y présente une série de cinq photos IR N&B, prises avec un reflex argentique Minolta X-700 et filtre 092 (vraiment très foncé). Je ne vois pas où serait l'avantage de la capture numérique pour ce genre d'images.

Cela dit, chapeau au rédacteur de cet article.

Cordialement.
# RE: Photographier en infrarouge avec un boîtier défiltréRieo 24-06-2013 13:17
Je me disait que les photos me disaient quelque chose. C'est évidemment à Guyancourt qu'elles ont été prises.
# Alpha 77Asteve 22-08-2013 10:18
Bonjour,
Y a t il des modifications a faire sur un boîtier a77+sal1650 pour faire des photos ir.
ou juste des filtres suffisent ?
merci
# RE: Alpha 77Patrick Moll 23-08-2013 03:31
Hélas, Omer donne la réponse dans l'article :
Idéalement, il faut disposer d'un APN démuni de son filtre infrarouge. En effet, si d'un côté le filtre de l'appareil bloque les infrarouges, et de l'autre un filtre sur l'objectif ne laisse passer que ceux-ci, il ne reste au final que peu de photons pour alimenter le capteur.

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