Avr 06 2012

Protocole de test pour évaluer la colorimétrie d'un boîtier

Protocole_colorimetrie_corner.jpgCet article présente le protocole de test qui servira à tester la colorimétrie des boîtiers Sony Alpha et NEX. Il ne présente donc pas d'intérêt majeur en lui-même, mais il servira de référence aux articles à venir. Il s'agit ici de présenter les outils et les méthodes disponibles dans ce domaine peu fréquenté par les journalistes professionnels.
Il faut dire que l'entreprise n'est pas simple, car elle exige au préalable une réponse à la question " "Qu'est-ce qu'une bonne colorimétrie ?" S'il s'agit de représenter le plus fidèlement possible la réalité, je vous le dis d'emblée : peu de boîtiers et peu de logiciels se verront attribuer un satisfecit. Les constructeurs comme les photographes se sont mutuellement habitués à des rendus flatteurs qui font fi des couleurs réelles. "On" veut que le ciel soit bien bleu et l'herbe bien verte, et tant pis pour la conformité à la scène photographiée, la réalité n'étant pas toujours à la hauteur des espérances. La recette utilisée par les constructeurs contient plusieurs ingrédients aux premiers rangs desquels figure l'augmentation de la saturation et, dans une moindre mesure, celle du du contraste. C'est notamment pour cette raison que les photographes qui s'essaient au format Raw sont surpris de voir que le Jpeg directement produit par leur appareil est plus "beau" que le rendu par défaut de leur Raw (les logiciels de développement proposant souvent des colorimétries plus neutres). Les mesures d'erreurs permettent de savoir qui est dans le vrai, et surtout de déterminer si les écarts aux couleurs théoriques sont problématiques ou acceptables.


Protocole de test

Le test de colorimétrie consiste à photographier une mire dont les couleurs sont parfaitement connues. Un logiciel mesure alors les couleurs photographiées et les compare aux couleurs théoriques (plus la mire comporte de couleurs, plus le résultat est représentatif).
La mire est éclairée par deux lampes Daylight D50 à large spectre placées à 45°. Un long temps de chauffe est observé afin d'assurer une parfaite stabilité de l'éclairage. Comme il est difficile de déterminer l'exposition idéale telle que l'attend le logiciel de test, plusieurs prises de vues décalées de 1/3 IL sont faites autour de la valeur proposée par la cellule de l'appareil. Auparavant, une balance des blancs manuelle est établie sur une charte de blanc. Pour du Jpeg, les appareils sont réglés sur le profil Adobe RGB. En Raw, ce même profil est fixé lors de l'exportation des images.
Une fois la prise de vue effectuée, l'image "normalement" exposée est envoyée au logiciel qui indique son décalage par rapport au niveau d'exposition qu'il attend. La valeur de celui-ci permet de choisir l'image la mieux adaptée.


Mire de test X-Rite ColorChecker

La mire X-Rite ColorChecker est de loin la plus connue. Elle comporte 24 plages de couleur, dont 8 en niveaux de gris.

mire_colorchecker.jpg

La ColorChecker est une mire universelle destinée aussi bien à calibrer qu'à vérifier la justesse des couleurs d'un écran ou d'un appareil photo. La limite de cette charte est son nombre réduit de couleurs, suffisant pour faire un calibrage correct, mais moins adapté comme outil de vérification.


Mire de test CMP Digital Target 3

La mire CMP Digital Targer 3 a été conçue par Christophe Métairie pour CMP-Color. Elle comporte 285 plages de couleur, dont 25 en niveaux de gris. Elle est imprimée sur support mat rigide de façon non industrielle et ses couleurs sont mesurées individuellement après impression pour constituer un fichier de référence exact. 

mire_DT3.jpg

Le grand nombre de couleurs permet de réaliser une évaluation beaucoup plus précise de la colorimétrie qu'avec les 18 plages colorées de la ColorChecker. Cette mire fait partie des rares élues prises en charge par le logiciel IMATEST. La connaissance exacte des valeurs RVB ou Lab des plages de couleur en font une excellente mire pour tester la colorimétrie d'un boîtier.


Mire de création de profils d'appareil photo CMP Digital Target 4

La mire CMP Digital Target 4 comporte un nombre record de 570 couleurs, dont 36 niveaux de gris. Comme pour la Digita Target 3, elle est imprimée sur support mat rigide avec mesure des couleurs après impression.

mire_DT4.jpg

Cette mire n'est pas encore prise en charge par IMATEST, ce qui ne permet pas de l'utiliser comme mire de test. En revanche, elle est remarquable pour produire des profils d'appareils photo à l'aide du logiciel ProfileMaker 5.


Le logiciel IMATEST

Le logiciel IMATEST est un produit destiné aux professionnels. Son potentiel est énorme, et la colorimétrie ne représente qu'une minuscule partie de ce qu'il est en mesure d'évaluer. J'utilise la version Studio, qui ne contient pas tous les outils de la version Master, mais dont le tarif est nettement plus accessible. 

IMATEST.jpg

Ci-dessous, l'interface de la partie Multicharts que j'utilise. Dans cet exemple, la mire est la CMP Digital Target 3, accompagnée de son fichier de référence.

Interface_IMATEST.jpg

Parmi les graphiques proposés, le 2D a*b* est le plus parlant. Sont pointées les couleurs théoriques (carrés) et celles mesurées sur la photo de la mire (cercles), un trait les reliant. Cette représentation visuelle des erreurs de couleur permet de les repérer en un coup d'oeil, et avec un peu d'habitude d'évaluer si elles sont problématiques ou non.


Quantités mesurées et scores standards

Au bas du graphique ci-dessus figurent la moyenne et la valeur maximale de trois scores ΔE et ΔC, soit douze valeurs au total. L'espace considéré est le L*a*b* (plus communément appelé Lab) dans lequel une couleur est décrite par une composante en luminance L* et deux composantes couleur a* et b*. Il est donc simple de séparer la provenance des erreurs entre luminance et couleurs. Voici la définition et la signification de ces scores. Ne soyez pas effrayé par les formules, elles ne sont que de banales distances calculées dans l'espace à trois dimensions L*a*b*.
• Le ΔE*ab est la distance absolue entre une couleur théorique et la valeur mesurée :  
ΔE*ab = ( (ΔL*)2+ (Δa*)2+ (Δb*)2 )1/2
• Le ΔC*ab mesure l'erreur provenant des seules composantes couleur a* et b*, comme si on avait aplati le diagramme 3D en faisant disparaître la luminance (voir graphe ci-dessus) :
ΔC*ab = ( (Δa*)2+ (Δb*)2 )1/2
Le problème de ces mesures absolues (dites CIE-1976) vient du poids excessif donné aux couleurs fortement saturées. Les erreurs peuvent être importantes sans qu'elles le soient visuellement (une erreur de 5 est forte pour des couleurs pastel, mais peu discernable pour des couleurs fortement saturées). Pour limiter ce défaut, d'autres formules sont proposées. Sans entrer dans le détail, voici à quoi elles correspondent :
• Les mesures CIE-94 pondèrent les composantes chromatiques pour atténuer l'impact de leur valeur absolue. On aboutit ainsi à des scores ΔE*94 et ΔC*94 plus proches de la perception visuelle.
• Les mesures CIE-DE2000 sont un raffinement des précédentes, encore plus pertinentes au regard du comportement de la vision humaine. Les scores correspondants sont notés ΔE*00 et ΔC*00.
Les formules CIE-94 restant les plus utilisées, ce sont elles que je privilégie dans l'examen des graphiques. Nous verrons un peu plus loin que ces données peuvent être corrigées pour tenir compte d'un excès de saturation.


Résultat et interprétation avec la ColorChecker

Le logiciel IMATEST a une entrée directe pour les mesures faites avec une ColorChecker. Le graphique principal montre les valeurs théoriques et mesurées des 18 patchs de couleur sur un diagramme 2D a*b* (comme si on observait le diagramme complet en transparence à la verticale de l'axe des luminances, voir graphiques complémentaires en fin d'article).

IMT_ColorChecker.jpg

J'ai choisi les valeurs CIE-94, mais les autres valeurs peuvent également être sélectionnées dans l'interface du logiciel. Dans les informations figurant dans le coin supérieur droit figurent les ΔE*94 et ΔC*94, auxquels s'ajoutent un ΔC*94 corrigé des excès de saturation.
Cette dernière information est importante à considérer en présence de boîtier et/ou de logiciels qui ont une tendance assez forte à augmenter la saturation pour faire "claquer" les couleurs. Avec cette mesure corrigée, on a ainsi accès à une mesure des "vraies" erreurs des couleurs, compte non tenu de cet accroissement artificiel de la saturation. Celle-ci est globalement indiquée en pourcentage tout en haut du graphique. Sur cet exemple (qui correspond au Jpeg du NEX-7), on voit que la saturation est à 118%, ce qui signifie que le processeur du boîtier a ajouté globalement 18% de saturation.
Pour estimer l'importance des erreurs, il faut les mettre en relation avec la plus petite valeur discernable par la vision humaine, qui s'établit autour de 1. Le ΔC moyen des erreurs corrigées du Jpeg du NEX-7 vaut 2,73, ce qui est une valeur faible. Même le ΔC moyen non corrigé est très bon, malgré le petit surplus de saturation. Le ΔE moyen à 5,26 est dans une norme très correcte, d'autant qu'une partie est due à une légère sous-exposition de la photo (d'environ 0,15 IL) qui affecte le résultat en luminance.
L'examen du graphique montre que pour la plupart des écarts importants, les cercles et les carrés ont une teinte proche. Les cercles semblent vouloir s'échapper du graphique, ce qui est la marque d'un excès de saturation.
Il est donc important de comprendre qu'une couleur inexacte peut l'être sans que cela soit grave, si l'écart mesuré a une composante forte en saturation et faible en teinte.


Résultats et interprétations avec la Digital Target 3

Lorsque la mire est une Digital Target 3, le nombre de mesures est considérablement plus important. Ne pouvant toutes les faire figurer sur un même graphique, IMATEST a fait une sélection (qui elle-même est difficilement lisible).

IMT_DT3_primary.jpg

Pour cette raison, deux graphiques complémentaires sont proposés. Le premier correspond aux couleurs saturées :

IMT_DT3_sat.jpg

Le second correspond aux teintes peu saturées (couleurs pastel et tons de peau) :

IMT_DT3_skin1.jpg

Comme sur ce graphique il est assez difficile de différencier les couleurs dont certaines se chevauchent, IMATEST propose de zoomer au maximum :

IMT_DT3_skin2.jpg

Les erreurs semblent beaucoup plus grandes visuellement sur ce graphique, mais en réalité il s'agit du même que le précédent, vu à une autre échelle (voir les graduations des deux axes). Attention donc à ne pas faire une surinterprétation de ces différences.
Les 12 valeurs de ΔE et ΔC concernent l'ensemble des couleurs, et pas seulement celles figurant sur le graphique examiné. Pour cette raison, elles sont identiques pour tous les graphiques. Ne figurent hélas pas les ΔC corrigés. Notez que sur ces graphiques figurent les valeurs maximales, et non l'écart-type comme sur le graphique du test avec la ColorChecker.


Graphiques complémentaires

Pour l'anecdote (et le plaisir de l'oeil), voici quelques graphiques complémentaires qui peuvent permettre de mieux comprendre ce qui précède. En premier lieu, pour la Digital Target 3, les couleurs sélectionnées présentées sur le très classique diagramme de chromaticité xy, à l'intérieur de l'espace AdobeRGB :

IMT_DT3_xy.jpg

Voici à présent une vue 3D des mêmes points dans le diagramme L*a*b* :

IMT_DT3_3D_1.jpg

Dans IMATEST, on peut faire tourner ce graphique autour des trois axes. Voici une vue du dessus, qui écrase la perspective en annulant la composante L*. On reconnaît le diagramme 2D a*b*... en moins lisible évidemment.

IMT_DT3_3D_2.jpg

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